lundi 22 décembre 2008

Grille de conversation

Au cours des dernières semaines, j'ai eu deux joies : celle de déménager, et celle d'avoir retrouvé la grille de conversation évoquée dans mon précédent billet (Pluton et les astrologues).

Cette grille de conversation m'a été donné à la fin d'une représentation de fin d'année à l'ENSATT (techniques du théâtre) à Lyon, d'une pièce de Bertold Brecht : La bonne âme du Se-Tchouan (et non de Se-Tchouan comme on peut voir un peu partout sur Internet). Pour lancer le débat à la suite de la représentation de cette pièce engagée, cette grille a été distribuée pour faire réagir le public. Au bas de la feuille est écrit :
Mode d''emploi : choisir n'importe quel fragment de la première colonne et le faire suivre de n'importe quel autre de la deuxième, puis de la troisième et de la quatrièmecolonne. (Inspirée du principe d'une grille brocardant la langue de bois, publiée en avril 1987 par l'hebdomadaire du partie communiste polonais Polityka. Citée par Michel Vergez, Faits divers, AFP et Lieu commun, Paris, 1990)
Voici en image cette grille.


Cette grille est évoquée dans le précédent billet, mais étant donné que je ne la retrouvais plus depuis un certain temps, elle y est était décrite de manière approximative. Ce billet vient corriger la justesse des informations mais je n'ai pas jugé nécessaire de changer le ton du premier.

mardi 28 octobre 2008

Pluton et les astrologues

Avec l'arrivée sur scène d'un trouble-fête dans la chorégraphie des planètes, le système solaire n'est plus ce qu'il était. En effet, à la suite de la découverte récente d'Éris en 2003, une dixième planète en orbite au-delà de Pluton, la plus excentrée par rapport au soleil, l'Union astronomique internationale (UAI) se devait de faire un peu de ménage dans ce ballet en proposant enfin une définition du mot... « planète ». Mais quelle que soit cette définition, l'heure était grave car il y aurait forcément du bouleversement dans le star-system. L'équation est simple en apparence et concerne principalement Pluton, dont les similitudes avec Éris posent problème. Si Éris est une planète, alors Pluton, en est une et le système solaire compte une planète de plus. Mais si Éris n'est pas une planète, alors Pluton n'en est pas une non-plus, et le système solaire compte une planète de moins.

C'est quoi alors une planète ?
Lors d'une assemblée de l'UAI le 24 août 2006, le terme « planète » est défini précisément : une planète est un corps céleste qui gravite autour du soleil, en équilibre hydrostatique (forme sphérique) et ayant le ménage autour de lui. Pluton, n'ayant pas fait place nette sur son orbite, ne correspond alors pas à la définition. Depuis ce jour, Pluton ne fait donc plus parti du cercle très fermé des planètes du système solaire tandis qu'Éris échoue également à son examen de passage.

Pluton est maintenant un objet anonyme connu dorénavant sous le nom de 134340. Une rétrogradation pour Pluton ? « Non, répond André Brahic, astrophysicien français ayant appuyé cette décision, c'est plutôt une promotion. » En effet, non content de se faire expulser du cercle, Pluton fonde avec Éris un nouveau club, celui des planètes naines, très fermé aussi, avec trois membres seulement : Pluton, Éris et Cérès, la plus petite des trois, découverte en 1801.

Désormais, Pluton n'est plus considérée comme une planète du Système Solaire

Pluton, dont l'existence avait été prédite (scientifiquement) par Percival Lowell, un astronome amateur américain, fut découverte en 1930. Il fallait alors lui trouver un nom. De toutes les suggestions, c'est celle de Venetia Burney, une fillette de onze ans d’Oxford, en Angleterre, qui fut retenue. Elle proposa Pluto, du nom latin du dieu des enfers (Hadès chez les Grecs).
Le nom fut retenu en hommage à Lowell, mécène de l’observatoire où fut réalisée la découverte et dont les initiales forment les deux premières lettres de Pluton.

Premières contradictions
Si cette découverte confirma une théorie astronomique, les astrologues, eut, intégrèrent prestement cette neuvième planète, tout affolés que leurs trigones n'aient pas prédit à travers leurs calculs savants l'existence de cette planète. Mais quelles pouvaient bien être les influences exercées par ce nouvel astre ? En hommage à Pluton, le dieu des morts, les astrologues ont eu le bon goût de lui attribuer des influences associées à la mort, à la maladie, aux pulsions dévastatrices, à la part d'ombre qui sommeille en chacun de nous. Quelle idée de déterminer les influences d'une planète d'après le nom qu'on lui donne ! Au Moyen Âge, la théorie des signatures de Paracelse proposait qu'une plante ait les vertus que sa forme laissait supposer. Ainsi, à l'époque, on prête à la vipérine, nommée en raison de sa forme serpentine, des vertus liées aux reptiles apodes. D'une part, elle les éloigne et d'autre part elle soigne leur morsure. Si Pluton eut été appelée Athéna, aurait-elle révélé la part de sous-vêtement en chacun de nous ?

Mais alors, si Pluton a une influence astrale, cela implique que toutes les prévisions effectuées avant 1930 sont nécessairement fausses ! Prenons Marcel, honorable grand-père né en 1929. Son horoscope affirme alors qu'il plutôt de nature calme et réfléchi. Un nouvel horoscope réalisé en 1931, donc incluant Pluton, affirme-t-il alors qu'en fait non, il est plutôt impulsif et colérique ?
De même, si Pluton a une influence, alors Éris, la planète naine, de masse plus importante que Pluton en a aussi. Pourtant Éris n'est pas intégré dans les prévisions... Donc de deux choses l'une : soit les astrologues intègrent Éris et toutes les prédictions faites avant 2003 sont fausses, soit ils n'intègrent pas Éris, ce qui serait absurde vu que Éris aurait plus d'influence que Pluton de par sa masse. Quid de Sedna, Quaoar ou Chiron ?

Ainsi, une multitude d'objets célestes tels que ceux cités devraient avoir de l'influence sur nous : Io, le satellite de Jupiter, plus gros que la Lune, Cérès, un astéroïde massif qui effectue une révolution autour du soleil en 4,6 ans quand Pluton, certes plus gros, fait sa révolution en 248 ans. Malgré cela, les astrologues n'ont pas dû prédire qu'il fallait les inclure dans leur jeu de loto des influences planétaires.

Pour affirmer cela, il nous faut partir d'ailleurs du postulat que les influences cosmiques sont liées à la masse de l'astre. Mais cela reste une hypothèse car d'influence, nul ne sait de quoi il s'agit. Forces gravitationnelles, ondes électromagnétiques, radiations... aucun astrologue ne pourrait expliquer ou démontrer leur existence.

Envoie « lingot » au 7441...
... Et tu connaîtras tes chances de devenir millionnaire ! Ce genre de services par SMS apparus avec les nouvelles générations de téléphone portable fleurit sur des chaînes qui n'ont de revenus qu'à travers ces publicités subversives. Or, si ce genre d'annonces nous intéresse ici, c'est que ces promesses irrationnelles sont finalement proches du discours des astrologues. Dans le cas du service SMS, on se doute bien qu'il y a dernière cela non pas des voyants, des devins ou des numérologues qui analysent le numéro de téléphone de l'incrédule qui paye (car c'est finalement la seule information disponible sur le client, c'est son numéro de téléphone), mais plutôt un simple programme informatique qui génère un chiffre au hasard (peut-être d'après ce numéro de téléphone) entre deux limites inférieures et supérieures sans doute un pourcentage de chance en l'occurrence.

On a donc ici affaire avec un programme aveugle qui génère une information aléatoire qui fait office de vérité vraie. Le danger est que cette vérité peut faire l'objet chez certaines personnes d'une absence totale de critique, particulièrement chez les plus jeunes d'entre nous. Certains services SMS proposent par exemple de connaître le prénom de notre futur petit(e) ami(e), d'autres encore de dévoiler le pourcentage d'affinité entre deux personnes si on envoie par SMS les deux prénoms. On voit ici que la cible est clairement les jeunes ou les adolescents en mal de repères, qui seraient prêts à prendre au sérieux ces informations pourtant biaisées mais auxquelles les plus sensibles peuvent s'identifier facilement, par manque de discernement, qui pourrait être facilement comblé par une bonne culture scientifique.

Je me rappelle avoir eu dans les mains un instrument passionnant – un simple bout de papier à vrai dire, appelé « grille de conversation », tirée me semble-t-il d'un journal communiste. Une première colonne présente des débuts de phrase très vagues comme (j'invente) « Il semble évident que » ou « Nous vivons dans une société où » ; une deuxième propose des milieux de phrase tels que « contrairement aux siècles précédents » ou « l'échec de la politique moderne conduit à penser que » et enfin une troisième colonne qui recense des fins de phrase comme « l'argent facile est devenu un modèle pour certains. » ou « communiquer est un besoin primordial pour une entreprise. ». Ainsi, vous le devinez, on peut construire une multitude de propositions en prenant à chaque fois un début, un milieu et une fin de phrase. Ainsi, cette grille permet de tenir un discours construit (le signifiant) mais dont le fond (le signifié) n'existe pas réellement puisque sa construction est versatile.

L’Astrologue qui se laisse tomber dans un puits
Cette façon de construire un discours dépourvu de signifié, et son impact sur notre ressenti, a été étudiée par un psychologue, Bertram R. Forer (1949). Il soumit des étudiants à un test de personnalité, en leur demandant d’attribuer une note, à un texte banal, selon le degré de ressemblance avec l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Ce texte commence ainsi :
Vous avez besoin d'être aimé et admiré, et pourtant vous êtes critique avec vous-même. Vous avez certes des points faibles dans votre personnalité, mais vous savez généralement les compenser. Vous avez un potentiel considérable que vous n'avez pas encore utilisé à votre avantage. À l'extérieur vous êtes discipliné et vous savez vous contrôler, mais à l'intérieur vous tendez à être préoccupé et pas très sûr de vous-même.
La note moyenne fut de 4,26 sur 5, c’est-à-dire que la majorité des étudiants jugèrent pertinent cette peinture de leur personnalité. Conclusion, tout le monde s’identifie à cette description, alors que celle-ci n’est absolument pas personnalité. Le psychologue Paul Meehl baptisa ce phénomène « effet Barnum », « en référence aux talents de manipulateur de l'homme de cirque Phineas Taylor Barnum » (Wikipédia).

Plus récemment, ce phénomène a été ré-étudié par Henri Broch, physicien et fondateur du laboratoire de zététique, à Nice. La zététique pourrait être définie comme étant l'étude rationnelle et doutive des phénomènes pseudo-scientifiques : ufologie, archéo-fiction, parasciences, surnaturel et paranormal, médecines alternatives et bien sûr astrologie. Broch indique, pour les petits curieux comme moi et vous, dans un des nombreux documents libres à disposition sur son site internet (merci !), que le terme vient du grec zêtêin (chercher), et désigne la « méthode dont on se sert pour pénétrer la raison des choses » (dictionnaire Littré).

Dans son laboratoire, Henri Broch tente à la fois de démontrer que ces disciplines sont fausses, sceptique comme il est, mais il s'applique aussi à prouver qu'elles sont justes, au travers du défi zététique qu'il a lancé aux tordeurs de petite cuillère et autres devins des cartes sur table. En quinze ans de défi ouvert, pas une personne n'a pas réussi les tests d'aptitude pour démontrer que son pouvoir est bien réel (« Vous avez un pouvoir... Prouvez-le ! »).

L'astrologie et l'effet Barnum sont donc deux des objets d'étude des zététiciens. Mais Broch préfère parler d' « effet puits ». Il s'en explique sur son site internet :
L'effet Puits peut se résumer ainsi : plus un discours est vague (profond pourrait-on dire,... profond dans le sens de creux, bien sûr), plus les personnes qui l'écoutent peuvent se reconnaître majoritairement dans ce discours.
Entre hasard, coïncidences et surtout banalité, les thèmes astraux ou les horoscopes sont toujours proches de notre réalité. Je viens de pêcher le premier horoscope trouvé sur le journal local :
Il y aurait beaucoup à dire sur un sujet qui vous préoccupe. Regardez-y à deux fois avant de prendre position. Vous avez raison de vouloir en parler publiquement mais vous savez aussi que toute vérité n'est pas toujours bonne à dire surtout en de telles circonstances.
Si je vous dis qu'il s'applique aux Béliers, combien de pigeons d'un autre signe s'y retrouveraient ? Au quotidien comme à chaque fin d'année, les astrologues nous garnissent la dinde avec leurs prévisions toujours aussi pertinentes sur le monde : des hauts et des bas en plus des crises, guerres et autres conflits, mais toujours de sérieuses avancées de la médecine. Au fait, s'ils sont si fort que ça les astrologues, pourquoi n'évitent-ils justement pas à l'humanité de connaître des épisodes meilleurs ? Pourquoi ne sont-ils pas riches et puissants ? Et surtout ces corbeaux devraient rechercher les réponses à des questions plus fondamentales : Lancelot était-il verseau ? Existe-t-il des mafiosi balance ?

* * *
Quant aux volontés souveraines
De celui qui fait tout, et rien qu’avec dessein,
Qui les sait que lui seul ? comment lire en son sein ?
Aurait-il imprimé sur le front des Étoiles
Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles ?
(Jean de la Fontaine – Fables, Livre 2, Fable 13)
Astrologues, Montesquieu aussi dirait de vous que vous êtes bien orgueilleux pour croire que les étoiles et les planètes, nées bien avant vous et qui disparaîtront bien après votre mort, peuvent vous prédire votre avenir par leur ballet immuable et détaché de vos croyances lucratives. Elles n'ont en fait que du mépris pour vous, qui ne contribuez qu'à recouvrir de votre poussière pseudo-scientifique les lumières de la vérité, bien trop aveuglantes pour vous. J'espère juste qu'un jour vous avez prédit la fin de l'obscurantisme que vous contribuez à déverser sur les masses engluées dans vos prédictions fumeuses, vos trigones intéressés, empêchant le peuple de la science se rapprocher.

Références :
Bertram R. Forer, « The fallacy of personal validation: A classroom demonstration of gullibility » in Journal of Abnormal and Social Psychology, 44, 118-123. (1949)
Le site internet du laboratoire de zététique : http://www.unice.fr/zetetique/index.html
Piqure contre les antisceptiques : http://charlatans.info/index.php
Réflexions sur l'astrologie de deux astronomes de l'Observatoire de Paris : http://www.obspm.fr/savoirs/contrib/astrologie.fr.shtml

Illustrations : Le système solaire : vue d'artiste. La trajectoire de Pluton est le cercle le plus à l'extérieur - DR | Pub pour un service de voyance par SMS - DR | François Chauveau : gravure pour L’Astrologue qui se laisse tomber dans un Puits, Livre II, fable 13 - © Musée Jean de la Fontaine

mercredi 1 octobre 2008

Pour qui Dieu votera-t-il aux prochaines élections américaines ?


Dieu a vraiment de quoi se faire des cheveux blancs. D'ici novembre, il doit choisir un capitaine ad hoc pour gouverner le plus grand puissant état du monde. D'un coté, un candidat démocrate, Barack Hussein Obama II, qui veux reloger les pauvres qui le sont encore plus depuis qu'il enrichissent les riches spéculateurs, offrir des barques aux pauvres noyés du sud du pays, et évacuer les soldats du pays de Saddam en terminant une guerre qui n'a d'intérêt que pour les riches. De l'autre, un candidat républicain, John Sidney McCain III, que nous appellerons "Mach 3" parce que nous le trouvons un peu rasoir, qui veut faire croire que les troupes américaines de libération du monde sont proches de la victoire, tellement proche qu'il veut envoyer des renforts, et qui a choisit comme colistière Sarah Palin, gouverneur de l'Alaska, convaincue que les hommes ont pu chasser les dinosaures, il y a 6000 ans...

Où l'on entend reparler du créationnisme

Cette croyance est très présente aux États-Unis, sous couvert de la religion. Sous le nom de créationnisme, dessein intelligent (intelligent design) ou encore programmisme, cette théorie propose une lecture littérale de la Bible. Ainsi, seul un être supérieur est capable d'être à l'origine de la création de la vie et de sa diversité. La terre et les cieux ont été créés en six jours par un dieu (le Dieu) il y a 6000 ans. Tout au long, Dieu a créé les plantes, les animaux et les hommes, qui du coup ont surement eu le plaisir d'écouter du Paradise Lost autour d'un bon steak de brontosaure. Le septième jour, Dieu a créé les armes. C'est le jour préféré de Sarah Palin : elle prie tous les dimanches pour la NRA.

Ainsi, les créationnistes sont en opposition totale avec le darwinisme en affirmant que la théorie de la sélection naturelle ne suffit pas à rendre compte de l'age et de la complexité de la vie. Pour prouver cela, les créationnistes plient, détournent ou travestissent la science à leur profit. En ce qui concerne l'age de la Terre par exemple, cette théorie s'attaque aux grands principes géologiques et affirme notamment que les fossiles sont des vestiges d'animaux disparus suite au déluge, ce même déluge qui aurait engloutit les dinosaures... De même, les couches géologiques ne sont pas les témoins de la stratification des sédiments sur des millions d'années.

Quant à la théorie de la sélection naturelle, les créationnistes réfutent totalement les arguments et preuves accumulés depuis 150 ans, comme par exemple la brulante question des mutations qui selon eux ne peuvent qu'être délétères et en aucun cas être à l'origine de la création d'une espèce. Pourtant, les scientifiques ont déjà observé des espèces évoluer.

Mais, pour mieux s'adapter, des courants modérés apparaissent aux cotés des courants fondamentalistes. Ainsi, certains pensent que s'il existe bien un processus de changement des espèces, alors celui-ci tend vers un seul but (ou dessein) : l'apparition de l'homme, en tant qu'être parfait au sommet de la pyramide des espèces. D'autres admettent que la Terre est effectivement vieille, mais que Dieu y a crée la vie pour la laisser se débrouiller comme une grande par la suite... Malgré ces pensés en apparence progressistes, les créationnistes ne désarment pas. Début 2007, des écoles françaises ont reçu un joli cadeau de la part d'Harun Yahya, de religion islamique : un Atlas de la Création, qui démontre en 700 pages que les scientifiques nous mentent car ils ne croivent pas en Dieu.

En bon citoyen, le Père du Christ devra donner de la voix. Mais à qui ? Au candidat qui veut laver l'Amérique et Maria en son nom ? Ou à celui qui, une bible dans sa poche révolver (1) veut continuer la croisade en son nom ? En tout cas, j'espère jusque qu'Il saura aider les américains à faire le bon choix.

(1) Emprunté à No One Is innocent (US Festival de l'album Révolution.com)
Illustration : Jésus chevauchant un dinosaure. DR

mardi 30 septembre 2008

Articles non-publiés #2


Articles d'actualités des sciences non-publiés, destinés à un magazine de culture générale, numéro de novembre 2008. Chaque article était accompagné d'une illustration légendée.



Environnement

Les parasites prennent de l'importance
D'après une nouvelle étude, le rôle des parasites serait largement sous-estimé en terme de biomasse. La biomasse est une notion écologique qui tend à exprimer la masse totale des êtres vivants dans un milieu donné. Classiquement, les végétaux représentent l'écrasante majorité de cette biomasse, parfois jusqu'à plus de 95 %. On pourrait alors croire que la maigre part restante est attribuée aux grands animaux de ce milieu, mais il n'en est rien. En effet, une étude américaine publiée dans la revue Nature démontre qu'après analyse de la biodiversité dans trois estuaires au Mexique et en Californie, la majorité de la biomasse animale est principalement représentée par les parasites : 3 % de la biomasse totale. Un petit chiffre certes, mais les chercheurs estiment qu'il dépasse celui des grands prédateurs, oiseaux, poissons et autres crevettes, en particulier pour la classe des parasites trématodes comme la douve. Les parasites ayant un rôle central dans les flux d'énergie à l'intérieur des écosystèmes, ce résultat apportera sans doute de nouvelles perspectives dans l'étude des milieux naturels.

Un laser pour détecter la pollution atmosphérique
Le professeur Chin et son équipe (Centre d'optique, Université de Laval, Canada) viennent de mettre au point un laser femtoseconde très grande puissance qui pourrait détecter et analyser des gaz atmosphériques jusqu'à une distance de deux kilomètres. Cet appareil émet des impulsions laser très brèves (10-15 seconde) formant dans l'air des filaments qui ionisent et cassent les molécules de gaz. Excitées, elles émettent alors des rayonnements fluorescents propres à chaque composé qui sont analysés afin de révéler leur identité. Les premiers essais en laboratoire ont tenu toutes leurs promesses en détectant notamment des molécules de monoxyde de carbone, de dioxyde de carbone ou de butane. Protégée par un brevet d'invention américain, cette méthode est prometteuse car là où d'autres requièrent l'utilisation de plusieurs appareils, celle du professeur Chin n'en nécessite qu'un seul. La prochaine étape, sous couvert de financements, sera d'élaborer un laser femtoseconde transportable en extérieur, afin d'intervenir sur des zones contaminées, toxiques ou polluées.

Des éléphants de mer contribuent à l'étude des courants océaniques
En Antarctique, chaque hiver, lorsque la banquise se reforme, seule l'eau est prise dans la glace, le sel restant dans l'eau de mer. Cet enrichissement en sel provoque alors un alourdissement de cette l'eau qui se refroidit et plonge profondément, formant ainsi le puissant courant circum-Antarctique qui ceinture le continent blanc. Techniquement, les données concernant cette circulation océanique sont difficiles à obtenir. Pour les récolter, des scientifiques (CNRS/MNHN) ont eu l'idée de se servir d'une population d'autochtones : les éléphants de mer. Ainsi, en 2004 et 2005, 58 de ces animaux ont été équipés de balises Argos miniatures, permettant de fournir en temps réel le long de leurs déplacements 16 500 profils verticaux de température et de salinité, dont 4 520 pendant l'automne et l'hiver austral. En effet, un éléphant de mer est capable de plonger plus de 60 fois par jour, à une profondeur moyenne de 600 m. Ces très riches informations cartographiées complètent aujourd'hui les modèles océan-climat et permettent d'évaluer plus précisément les relations entre la circulation thermohaline (relative au sel) et le réchauffement climatique.


Médecine

Un virus qui infecte les virus
A la frontière entre le monde vivant et le monde inerte, les virus continuent d'étonner les chercheurs. D'ordinaire, ces entités ont besoin d'une cellule hôte pour se multiplier : elles y introduisent leur matériel génétique et utilisent la machinerie de la cellule pour fabriquer d'autres virus semblables. En observant un nouveau venu récemment découvert, Mimivirus, le professeur Raoult et son équipe (CNRS/Université Aix-Marseille II) remarquent des fragments associés qu'ils prennent tout d'abord pour des morceaux de génome satellite. Mais le professeur Raoult démontre rapidement qu'il s'agit en réalité de virus, qu'il s'empresse de baptiser avec humour « Spoutnik » en raison de cette bévue. Il s'agit là de la première découverte d'un virophage, un virus qui en infecte un autre. A l'instar des autres virus, son infection se fait au détriment de son hôte qui subit une diminution de son taux de multiplication ainsi que des défauts de fabrication. Par ailleurs, une part des gènes de cette nouvelle entité biologique proviennent d'autres virus dont Mimivirus, ce qui prouve que les virophages jouent un rôle important et jusqu'alors méconnu dans les flux de gènes entre virus.

Vers une greffe de neurones
Les derniers travaux d'une équipe belge ouvrent de nouvelles perspectives dans les techniques de greffe cérébrale. Menés par Pierre Vanderhaeghen, ces chercheurs de la faculté de médecine de l'Université libre de Bruxelles sont partis d'une découverte de l'un d'entre eux, qui a mis au point une méthode « étonnamment simple et efficace » pour obtenir in vitro des neurones fonctionnels à partir de cellules souches*. A l'aide d'une chercheuse CNRS de l'Université de Poitier, ils ont ensuite greffé ces neurones dans un cerveau de souris. Les neurones ainsi transplantés sont parfaitement capables de s'y intégrer et de recréer des circuits spécifiques du cortex en se connectant au cerveau. Ces recherches ne tarderont pas à trouver écho dans de nombreux domaines puisqu'elles fournissent une source illimitée de neurones corticaux. Recherches pharmaceutiques, traitement de maladies dégénératives telle la maladie d'Alzheimer ou intervention après un accident vasculaire cérébral, cette avancée constitue également une alternative à l'expérimentation animale ou humaine.
*Cellule souche : cellule indifférenciée qui peut devenir, après signal génétique, n'importe quel type de cellule différenciée et spécialisée : cellule de foie, de cœur, de peau, etc. Les cellules souches sont issues d'embryons, de fœtus ou de tissus adulte.

Salmonelles, une lutte intestine
C'est une guerre sans merci qui se déroule dans notre intestin. D'un côté, les puissantes bactéries commensales qui occupent et défendent ces terres depuis toujours. De l'autre, les salmonelles qui n'ont qu'un objectif : conquérir ce territoire. Le rapport de force est totalement déséquilibré et pourtant, les nombreuses personnes infectées tous les jours le confirmeront, les salmonelles arrivent parfois à leur fin. Comment ? En adoptant une stratégie de sacrifice d'une partie d'entre elles. Un commando kamikaze spontané est le premier à ouvrir les hostilités en attaquant la muqueuse intestinale. En réaction, l'inflammation provoque une diarrhée qui élimine tous les belligérants, bactéries commensales et éclaireurs salmonelles. Une fois le champ libre, le gros des troupes de salmonelles peut alors se multiplier. D'un point de vue évolutif, les chercheurs ont par ailleurs vérifié mathématiquement que seul un bénéfice supérieur aux pertes des salmonelles amène à ce type de comportement coopératif et altruiste. A cheval entre médecine et évolution, cette étude a été menée par le département de Biologie de l'Institut fédéral suisse de technologie de Zürich.


Matière et espace

Une masse comme mille fois notre galaxie
Le plus gros amas de galaxies vient d'être découvert fortuitement par le télescope spatial européen XMM-Newton. Alors que cet instrument s'affairait à cataloguer dans le domaine des rayons X les objets les plus brillants de la voute céleste, un objet très lumineux se fait remarquer. Afin de confirmer cette observation, les astronomes demandent à leur collègues du télescope spatial terrestre LBT (Arizona, États-Unis) de pointer sur l'objet ses deux miroirs de 8,4 m de diamètre et de le photographier en lumière visible. Désormais, le catalogue compte un nouveau venu : 2XMM J083026+524133. Cet amas de galaxie a de quoi surprendre. Distant de 7,7 milliards d'années-lumières, sa température est de 100 millions de degrés Celsius pour une masse qui équivaut à mille fois celle de notre galaxie, la Voie lactée. Ce record pour un amas aussi lointain constitue une preuve supplémentaire dans l'hypothèse de l'énergie noire, une source d'énergie sombre qui échappe encore aux observations directes. Mais comme cette énergie entrave la croissance de groupes de galaxie, cet amas n'a donc pu se former que très tôt. Selon les chercheurs, seul l'énergie sombre peut expliquer son existence.

Une balance à atome
Quelle est la plus petite masse que l'on puisse peser ? Un grain de poussière ? Une bactérie ? Des chercheurs de l'Université de Berkeley (Californie) ont réalisé un appareil capable de peser... un atome. Cette balance à atome est basée sur les oscillations imprimées à un nanotube de carbone préalablement chargé négativement. Ces vibrations font entrer le nanotube en résonance. Lorsqu'un atome se pose sur le tube, la fréquence d'oscillation change instantanément, et la masse de l'atome est connue en seulement une seconde. Ce Nems (nanoelectromechanical system) a ainsi évalué la masse d'un atome d'or : 3,25 x 10-25 kg. Outre la rapidité d'exécution, le dispositif offre de nombreux autres avantages de taille. Là où un spectromètre de masse (appareil qui identifie une molécule par sa masse) nécessite une pièce entière, le Nems peut tenir dans une puce électronique. De plus, pour les autres techniques, la ionisation de l'échantillon est un prérequis, alors que ce dispositif n'exige pas cette fragmentation préalable. Cette méthode est donc adaptée à la mesure de la masse de macro-molécules telles les protéines ou l'ADN.


Sciences de la vie

Une baisse de température favorable à la vie
Au début de l'Ordovicien, il y a 480 millions d'années (MA), les océans se sont qu'une vaste soupe chaude dans laquelle nage une grande diversité d'être vivants. Jusqu'alors, les scientifiques pensaient qu'un « super effet de serre » avait fait grimper la température de l'eau (plus de 70 °C), en se basant sur l'analyse des coquilles de mollusques fossiles. Ces résultats reposent sur les rapports des isotopes* de l'oxygène qui sont de véritables thermomètres atomiques puisque ce rapport varie en fonction de la température. Une nouvelle étude semble pourtant tempérer ce constat. En utilisant la même méthode, mais sur des éléments de squelettes de conodontes, des anguilles fossiles, des chercheurs français du CNRS et australiens ont estimé qu'à - 480 MA, les eaux à seulement 45 °C se sont refroidies progressivement, perdant jusqu'à 15 °C en 40 MA. Or, au cours de cette période, la diversité explose, allant jusqu'à quadrupler le nombre de familles ou de genres. La preuve en est, à cette époque, les premiers coraux construisent leurs récifs et les fonds marins sont colonisés. La température des eaux est alors comparable à celle des eaux tropicales actuelles.
*Isotope : chaque atome se caractérise par un nombre de protons et un nombre de neutrons. Deux atomes sont dit isotopes lorsqu'il ont le même nombre de protons mais un nombre différent de neutrons. Un des isotopes du carbone est le carbone 14 qui permet de dater un échantillon.

Le premier séquençage d'un parasite de plantes
Après certains virus, bactéries, insectes ou vertébrés, dont l'Homme, c'est au tour d'un petit ver nématode parasite, Meloidogyne incognita, de dévoiler ses gènes. Ce travail de séquençage, la détermination complète de la séquence ADN (ou ARN) du génome d'un organisme, réalisé par un consortium de 27 laboratoires français et internationaux, piloté par l'unité INRA de Sophia-Antipolis, à Nice, apporte de précieuses informations. Premièrement, le génome de ce ver semble être issu de la juxtaposition d'au moins deux génomes, ce qui expliquerait sa grande capacité d'adaptation. On compte en effet pas moins de 25 000 espèces de nématodes, réparties dans le monde entier. Deuxièmement, l'animal possède un nombre particulièrement important d'enzymes, dont certaines d'origine bactérienne, permettant de parasiter une grande quantité de plantes. Le séquençage complet de ce ver parasite ravageur de culture permet à terme des avancées en matière de recherche fondamentale ou appliquée, comme la lutte ciblée qui remplacera à cours terme la lutte chimique aveugle.

lundi 29 septembre 2008

Articles non-publiés #1


Articles d'actualités des sciences non-publiés, destinés à un magazine de culture générale, numéro de septembre 2008. Chaque article était accompagné d'une illustration légendée.


Environnement

Les plantes grimpent pour chercher la fraicheur

Avec le réchauffement climatique, les plantes prennent de l'altitude pour trouver un peu de fraicheur. C'est cet étonnant constat qui est publié par une équipe de chercheurs du CNRS, de l'INRA et d'AgroParisTech, dans la revue Science. En se basant sur les inventaires floristiques français établis entre 1905 et 2005, les botanistes ont analysé l'évolution des aires de répartition de 171 espèces végétales (herbacées et ligneuses). Au vu de l'augmentation de 0,6 °C de la température moyenne durant cette période, l'étude montre clairement que les plantes se sont hissées en moyenne de 29 m par décade, cherchant ainsi à se maintenir dans une zone à la température favorable au développement et à la reproduction. De plus, les chercheurs ont pu mettre en lumière un phénomène particulier : le déplacement du « centre de gravité » de chaque aire de répartition (zone de densité maximale). Habituellement, dans ce genre d'étude floristique, seules les frontières de l'aire sont étudiées mais les résultats de cette étude montrent que ce ne sont pas seulement les marges qui fluctuent, mais bien l'ensemble de la population végétale.

Un tiers des espèces de corail menacées d'extinction
Tel est le constat alarmant de la première étude mondiale détaillée sur le statut de conservation des coraux constructeurs de récif. Les 39 scientifiques, parmi les meilleurs experts en coraux, ont uni leurs compétences pour appliquer sur ces animaux les critères de l'Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN). Ainsi, sur 704 espèces à statut de conservation, 231 ont un risque élevé d'extinction. Les scientifiques pointent du doigt le réchauffement climatique d'une part, qui modifie la température ou l'acidité de l'eau, et d'autre part les activités humaines : pêche intensive, pollution, etc. Signe de cette hécatombe, le blanchiment des coraux est le résultat de ces perturbations, qui provoquent la fuite des zooxanthelles, ces algues symbiotiques qui leur donnent des couleurs si vives. D'après les scientifiques, les récifs coralliens, qui ont mis des millions d'années à se construire, abritent plus de 25 % des espèces marines, ce qui en fait l'écosystème marin le plus biologiquement diversifié. Lorsque les coraux s'éteignent, les animaux qui en dépendent pour leur nourriture ou leur habitat sont gravement menacés.
Symbiose : type de relation écologique durable et bénéfique entre deux être vivants où chacun fournit à l'autre un bien nécessaire à sa survie (énergie, nutriments, abri). Le lichen est issu d'une symbiose entre une algue verte et un champignon.

Les incendies de forêt seraient-ils bons pour le climat ?
Aux États-Unis, les incendies de forêt causés par la foudre détruisent couramment les arbustes et les buissons. Mais depuis 1910, ils sont systématiquement combattus par les pompiers, ce qui a permis à ces étages de végétation de se développer. En toute logique, la croissance des forêts devrait diminuer le taux de CO2 atmosphérique car les végétaux prélèvent ce gaz pour l'incorporer dans leurs tissus. Pourtant, une étude menée par deux scientifiques américains tendrait à prouver le contraire. En comparant les inventaires forestiers californiens entre les années trente et les années quatre-vingt dix, les chercheurs ont effectivement observé que si la densité d'arbre a augmenté de 4 %, l'absorption de carbone a diminué en parallèle de 34 %. Pour expliquer ce paradoxe, les chercheurs concluent que les petits arbres et arbustes sauvés depuis par les pompiers « font de l'ombre » aux plus grands car ils sont entrés en compétition avec eux. Affaiblis, les grands arbres voient leur santé décliner, ce qui affecte leur capacité à stocker le carbone. Ce résultat contre-intuitif ne manquera de changer la donne en matière de politique de lutte contre les incendies.


Médecine

Progeria : un espoir de traitement
Cinq ans seulement après la découverte du gène responsable de la progeria, des chercheurs espagnols (Université d'Oviedo) et français (Université de la Méditerranée/INSERM) ont mis au point un traitement qui ralentit significativement ses effets. Cette maladie génétique rare est due à l'accumulation cellulaire d'une protéine tronquée, la progérine, à laquelle vient se fixer un acide gras, induisant une toxicité intra-cellulaire. Pour réduire cette toxicité, les chercheurs ont choisi comme voie de traitement le blocage de la synthèse de l'acide gras incriminé. Après plusieurs essais, une combinaison particulièrement efficace de deux substances pharmacologiques a été retenue. Chez les souris malades, la durée de vie est ainsi passée de 101 à 179 jours en moyenne. Un protocole clinique de traitement sur des enfants atteints est sur le point de démarrer dans le but de ralentir la progression de la maladie. La progeria, qui touche une centaine d'enfants dans le monde, provoque un vieillissement prématuré et accéléré. Toutes les recherches citées ont pu être menées grâce au soutien financier de l'AFM, par l'intermédiaire des dons du Téléthon.

Déjouer les tentatives d'évasion des cellules tumorales
Dans le corps humain, il arrive parfois qu'une cellule imparfaite ne soit pas détruite et continue à se diviser anarchiquement, pour former une tumeur. Ces cellules sont tellement déréglées qu'elles peuvent quitter cet amas chaotique pour aller se fixer plus loin dans l'organisme : c'est la métastase. Dans le cancer du sein, la membrane qui entoure la glande mammaire est imperméable mais les cellules tumorales arrivent tout de même à migrer. Par quels moyens ? C'est ce mécanisme de dissémination que vient de découvrir l'équipe de Phillipe Chavrier (CNRS/Institut Curie). Pour réussir son évasion, la cellule se fixe tout d'abord sur la membrane, grâce à des excroissances (invapodia). Puis trois protéines interviennent pour acheminer au point de fixation un véritable matériel de forage enzymatique, des protéases. Une fois ces protéases sur le front, une quatrième protéine agit pour les faire sortir afin qu'elles commencent leur travail de perçage de la membrane. La cellule n'a plus qu'à s'échapper. Cette découverte incitera les chercheurs à agir au cœur de ce dispositif d'évasion, en ciblant notamment leur traitement sur les quatre protéines en question.

Une carte des connexions du cerveau humain
Le cortex cérébral humain est un vaste et complexe réseau qui forme la couche extérieure du cerveau, d'où dix milliards de neurones interconnectés (substance grise) projettent vers l'intérieur leur prolongement nerveux, les axones. Jusqu'à présent, les scientifiques ne pouvaient techniquement pas se représenter la circulation des influx nerveux dans le cortex, lieu central de traitement de l'information. Mais des chercheurs américains et suisses ont récemment réalisé l'exploit d'établir la première carte des connexions du cerveau en haute définition. Pour cela, ils ont quadrillé le cortex en 998 régions de 1,5 cm², observées à l'aide d'une nouvelle technique d'imagerie dérivée de l'IRM, la DSI. Là où l'IRM décrit une région entière du cerveau dans une situation cognitive donnée, la DSI permet de détecter les mouvements de diffusion de molécules le long des axones, établissant ainsi une carte détaillée des connexions les plus empruntées et des nœuds les plus actifs. La technique ayant fait ces preuves, c'est tout un pan de l'étude des pathologies mentales qui devrait à terme en bénéficier : schizophrénie, épilepsie ou encore maladie d'Alzheimer.


Matière et espace

Matériaux amorphes : des solides liquides
Quel est le point commun entre la mayonnaise, une mousse au chocolat et une crème de beauté ? La structure atomique de ces produits est désordonnée comme un liquide, mais curieusement figée comme un solide, dont les atomes sont ordonnés (cristallin). Très présents sur les tables à manger ou dans les salles de bain, les matériaux amorphes ont dévoilé une partie de leur secret à plusieurs chercheurs du CNRS. Pour comprendre comment ces verres « mous » se déforment, les scientifiques ont analysé leur écoulement dans des micro-canaux de quelques microns de diamètre. Pour cela, ils ont tout d'abord élaboré une émulsion concentrée de gouttelettes d'huile de silicone en suspension dans un solvant d'eau et de glycérine pour l'observation au microscope. L'équipe a ainsi observé que, sous la contrainte du confinement, le comportement de l'émulsion est plus proche du liquide que du solide : sous la pression, les particules bougent en mouvement collectif et « coopératif ». Cette étude permettra à terme de mieux comprendre les phénomènes d'étalement ou de rupture des matériaux.

Antares, 900 yeux pour un neutrino
Les neutrinos sont des particules cosmiques qui ne se laissent pas observer facilement. Avec leur faible énergie et leur charge électrique nulle, ils interagissent peu avec la matière. Alors que la plupart des autres particules qui bombardent la Terre tous les jours sont arrêtées par l'atmosphère, l'eau ou le sol, la trajectoire rectiligne du neutrino est imperturbable. C'est justement pour faire le tri entre toutes ces particules que des chercheurs (CNRS, CEA, IFREMER) se sont unis pour installer Antares, un télescope à neutrinos, au large de Toulon, à 2 500 m de profondeur. A cet endroit, les 900 capteurs ne sont nullement perturbés par la lumière, et l'épaisseur d'eau élimine la plupart des particules. Mais les scientifiques comptent surtout sur le pouvoir filtrant de la Terre. En effet, en pénétrant dans la croute terrestre, il arrive (très rarement) qu'un neutrino interagisse avec un atome, donnant naissance à un muon qui file sur la même trajectoire que le neutrino. En pénétrant dans l'eau, la trace lumineuse du muon est détectée par les yeux d'Antares, orientés de fait vers le sol. Ce télescope unique en son genre aidera à mieux connaître les phénomènes les plus violents de l'univers, dont sont issus les neutrinos.

L'étrange ballet des taches de Jupiter
Jupiter, la plus grosse planète du système solaire, ne démérite pas son symbole astronomique, la foudre. Déjà observée il y a 150 ans, une tempête anticyclonique balaye toujours l'atmosphère de cette planète gazeuse, laissant apparaître aux yeux des astronomes une tache mouvante de 24 000 km de large. En 2000 puis en 2008, deux nouvelles taches (respectivement Red spot junior et Baby red spot) ont été observées sur la même latitude que la tache principale. Or, le télescope spatial Hubble vient de fournir aux astrophysiciens des images étonnantes qui montrent comment Baby red spot a fusionné avec la tache principale avant de ressortir quelques semaines après, complètement décoloré. Si quelques théories climatiques ou hydrodynamiques peuvent expliquer ce phénomène d'ouragan, personne ne peut en revanche expliquer ces changements de couleur, même si certains évoquent l'existence de matériaux phosphatés remontés des couches plus profondes et qui réagiraient en changeant de teinte. Quoi qu'il en soit, ces observations apportent de nouveaux éléments sur le changement climatique périodique qui semble régner sur cette planète et dont sont issus ces taches.


Sciences de la vie

Les fourmis, reines de l'adaptation
L'adaptation à l'environnement est une clé de la sélection naturelle. Un tel processus vient d'être découvert chez une fourmi australienne par des chercheurs parisiens (CNRS/Université Pierre et Marie Curie/ENS). Ils ont établi un modèle mathématique montrant qu'une telle colonie devait être capable de changer de stratégie de dispersion en fonction de son environnement. Or, l'observation in situ montre que, suivant le milieu de départ, les reines ne présentent effectivement pas la même taille. En comparant les réserves métaboliques de reines en vol nuptial entre deux groupes de colonies, les scientifiques ont constaté une différence. En milieu tropical, les colonies produisent de nombreuses reines, mais de faible qualité. Au contraire, dans les forêts tempérées, où l'hiver rend incertaine la survie, les reines sont moins nombreuses mais plus lourdes, disposant de plus de réserves. Mais quand la dispersion est un échec, des ouvrières prennent alors le rôle de pondeuses. Non-ailées, elles se dispersent moins loin, mais sont moins coûteuses que les reines. L'observation valide donc le modèle mathématique, qui prévoyait un tel changement de stratégie en fonction des ressources et du milieu.

De l'origine du parfum de thé chez les roses
Tous les amoureux des jardins vous le diront : les roses sont les reines des fleurs. Issues du croisement au dix-neuvième siècle de rosiers chinois et européens, les rosiers modernes livrent à ceux qui respirent leurs fleurs un léger parfum de thé, ce qui leur a valu le nom d' « hybrides de thé ». Si on sait que cette fragrance (due à une molécule nommée DMT) provient des rosiers chinois, on ignorait jusqu'alors quelle était l'origine évolutive de ce parfum. C'est ce qu'ont cherché à déterminer des scientifiques de l’INRA et de l’ENS Lyon. Leur analyse à conduit à penser que la présence de DMT est due à l'action de deux gènes, OOMT1 et OOMT2. Si toutes les roses sauvages possèdent le gène OOMT2, seules les roses chinois possèdent OOMT1. Or, les chercheurs ont identifié une mutation sur le gène chinois, rendant plus performante la synthèse de DMT. Le croisement des roses européennes et chinoises a par conséquent conduit à combiner les deux gènes qui décuplent conjointement la synthèse de parfum de thé. Ce schéma en apparence simple ne manquera pas de mieux appréhender les difficultés à obtenir des variétés de rosiers à la fois productives et parfumées.

Communication sonore : une origine unique pour tous les vertébrés
Même si un proverbe vante le mutisme des carpes, les poissons ne sont pas tous dénués de parole. Le poisson-crapaud à nageoire unie (Porichthys notatus) est capable, au même titre que la quasi-majorité des vertébrés, d'émettre des sons par la bouche. Que ce soit pour défendre son territoire ou pour faire la cour à une femelle, ce poisson a la faculté de faire vibrer sa vessie natatoire, un organe de flottaison, grâce à des muscles rapides. Une nouvelle étude américaine vient de démontrer que, lors du développement de la larve de ce poisson, dès que les muscles se connectent à la vessie natatoire, une région spécifique du cerveau se met en place à son tour. Or, la position de cette région est très proche de celle qui innerve les organes vocaux chez d'autres classes de vertébrés. En partant de ce constat, les scientifiques suggèrent qu'un organe vocal primitif et son région cérébrale associée sont apparus chez les premiers vertébrés aquatiques, 400 millions d'années en arrière. Par la suite, chacun aurait inventé son propre système d'émission sonore : la vessie natatoire des poissons, le syrinx des oiseaux ou le larynx chez les mammifères.

samedi 17 mai 2008

Barjavel était-il créationniste ?

Article publié conjointement sur Scienceblog.

Je me suis rendu il y a quelques semaines à une conférence à la faculté de médecine de Dijon. Un certain professeur Pierre Rabischong, un professeur émérite d’anatomie de la faculté de Montpellier y présentait une théorie « entre le darwinisme et le créationnisme » : le programmisme.

Darwiniste convaincu, le sujet me paraissait intéressant à plusieurs titres. Premièrement, le fait que cette conférence ait lieu à la faculté de médecine pouvait mettre la puce à l’oreille. Depuis quand discute-t-on d’évolution à la faculté de médecine alors que un passage piéton plus loin, en fac de Bio, on trouve quelques éminences grises de l’écologie évolutive ? Peut-être qu’on professeur d’anatomie parle d’évolution… Deuxièmement, le titre limite provocateur ne se dissimulait pas derrière quelques titres fumeux. Réunir l’un à coté de l’autre les mots « darwinisme » et « créationnisme » ne portait pas à confusion. Au passage, le professeur Rabischong a passé une bonne partie de son temps à stigmatiser le darwinisme et à se déclarer non-créationnisme alors qu’il se situe, d’après l’intitulé de sa conférence, entre les deux. Il semble tout de même que le barycentre soit fortement éloigné du darwinisme. En matière de biologie, c’est comme si une conférence de physique traitait d’un sujet comme « La création de l’univers, une nouvelle théorie entre Einstein et la Sainte Bible »… De quoi jeter de l’huile sur le feu, même si les détails de l’annonce essayaient plutôt de jeter de l’eau sur les braises : « dans une ambiance scientifique, rigoureuse et objective, aconfessionnelle, apolitique & asyndicale », « Tout le monde est libre de venir, du moment que chacun est prêt à respecter l'autre dans son opinion, et à l'écouter. » Voilà bien des façons de présenter une conférence. « Ce soir, grand match de foot : s’il-vous-plait, respectez l’arbitre et les joueurs, et ne vous habillez pas aux couleurs de votre équipe. » Alors, quelle est cette théorie du programmisme capable de déchainer les passions ?

Pour comprendre ce qu’est le programmisme, il faut déjà comprendre le créationnisme. Le créationnisme est une théorie biologique qui s’appuie sur la Bible. Selon les tenants de cette théorie, la plupart à la foi inébranlable, elle s’appuie sur plusieurs constats. Premièrement, la vie sur Terre suit exactement la Genèse comme elle est narrée dans la Bible. En conséquence, Dieu a crée toutes les espèces en même temps – il n’existe donc aucune filiation entre elles, et ce temps correspond, d’après leur calcul, à la création de la terre. Selon les créationnistes, la terre a été créée il y a 4000 ans. Au-delà de cette considération, les créationnistes s’affèrent plus à démontrer que le darwinisme est un tissu de mensonges et d’erreurs qu’à démontrer scientifiquement que leur théorie est puissante. Ils pointent ainsi le fait que la sélection naturelle, au lieu de créer de la diversité l’élimine au contraire, que les grands principes géologique sont erronés (continuité, superposition,…) et que les fossiles n’ont jamais été en vie ou sont des traces du Déluge, etc. En sommes, la vie (et la diversité de ses formes) est un processus si complexe qu’elle ne peut être qu’une œuvre élaborée d’après un plan et engendrée par le Créateur : « Dieu » suivant les créationnistes, un « être supérieur » d’après les thèses du dessein intelligent (intelligent design), penchant simplifié et dissimulé du créationnisme. A l’écoute de la conférence dont il est question, le programmisme est donc une théorie qui cache son nom, tout ce qu’il y a d’équivalent à l’intelligent design. Toute sa théorie du programmisme (ou intelligent design comme vous préférez) repose sur ce qu’il appelle « l’effet Mozart » qui se résume ainsi : « Personne ne connait personnellement Mozart, mais tout le monde connait son œuvre. » Pourtant, à la question : « alors, qui a fait tout ça ? », le professeur reste évasif, voire sans réponse.

Il apparait au fur et à mesure de sa conférence que ce professeur n’a sans doute jamais lu de textes évolutionnistes même si, a-t-il rétorqué à cette remarque, il a travaillé au Musée de l’Homme à Paris. Il devait alors se sentir bien seul. Si il affirme que évolution n’est qu’une théorie, pas un fait, alors le programmisme n’est pas une théorie, mais juste un alignement de faits. En effet, Sa présentation n’était qu’une suite d’exemple à valeur d’argument, sans démonstration, sans expérience et faux.

« On a jamais vu d’espèce évoluer. » A cela, Guillaume Lecointre rétorque : « plus personne aujourd’hui n’a vu la bataille d’Austerlitz. Pourtant, ce que nous savons de cette bataille tient à des restes, vestiges et documents écrits que nous devons articuler entre eux pour les comprendre. C’est la mise en cohérence maximale de faits isolés qui permet de penser cette bataille en tant que trame interprétative générale. Pourtant, personne n’irait remettre en cause la crédibilité de cet événement sous prétexte que plus personne n’y était. » De plus, la création d’espèce par hybridation ou mutation a déjà été constaté en laboratoire et in situ.

« L’évolution n’explique pas l’apparition de la vie. » Des modèles darwiniens expliquent parfaitement comment les briques élémentaires de la vie ont pu s’auto-assembler et faire apparaitre les propriétés émergentes de la vie.

« Les évolutionnistes ne peuvent pas montrer des formes de transition. » Faux, l’arbre de la vie est de moins en moins incomplet et des formes de transitions trouvées dans les archives fossiles complètent jour après jour le puzzle des espèces, dans lequel les formes s’emboitent les unes dans les autres : transitions reptiles/mammifères, transitions vie aquatique/vie terrestre, etc.

Mais l’un des arguments le plus récurrents dans les brillantes démonstrations des thèses du créationnisme purement biblique, de l’intelligent design camouflé ou encore du fils caché, l’avorton programmiste, est sans doute l’indiscutable : « La nanotechnologie de l’oreille n’a pas pu apparaitre par hasard. » En effet, le crédo des créationnistes, devant l’ingénierie déployée devant la création d’organes complexe tels que l’œil ou l’oreille interne, est le rejet absolu du hasard dans l’évolution, phénomène qui ne peut en aucun cas expliquer toute la complexité des organes cités. Non, la sélection naturelle aveugle et les mutations aléatoires ne peuvent pas expliquer que des organes aussi évolués. Évolués dans le sens de « élaborés ». En effet, lancer des lettres de scrabble en l’air n’a jamais écrit un poème. Dieu a créé toutes les espèces vivantes lors de la Création telles que nous les connaissons aujourd’hui. La preuve. D’un coté, l’ingénierie optique de précision pour l’œil, tout d’abord, avec la cornée pour capter et focaliser la lumière, l’iris, une lentille et la pupille qui n’est d’autre qu’un diaphragme et le cristallin, une autre lentille. De l’autre, l’improbable ingéniosité de l’oreille interne, en particulier la transmission parfaite de l’onde sonore, transmise mécaniquement par le système marteau-enclume-étrier, de manière ondulatoire dans un milieu liquide grâce aux cellules ciliées de la cochlée, puis électriquement dans un nerf.

Ainsi, à la question « comment un organe aussi complexe que l’œil ou l’oreille peut-il exister ? », les créationnistes répondent : l’œil ou l’oreille interne sont des organes extrêmement perfectionnés. Il existe une telle dépendance des différentes pièces qui le composent qu’on est en droit de se demander comment un organe primitif a pu subir des petites modifications tout en restant fonctionnel pour en arriver à cette merveille de technologie. Les mutations aléatoires sont tellement rares – d’autant qu’elles ne sont quasiment jamais positives, que l’information contenue dans ces organes, les plans d’organisation et de construction précèdent l’organe ou l’espèce et proviennent d’une « être supérieur ». Les chercheurs attendent toujours de le rencontrer pour lui décerner le prix Nobel, même s’il n’a qu’une publication majeure à son actif.

Envoi.

Pourtant, ce constat, les créationnistes ne sont pas les seuls à l’avoir fait, et ce n’est pas dans la Bible que ces propos ont également été tenus, ni dans un article d’une revue douteusement scientifique. Ce discours, on peut le retrouver dans les lignes écorchées d’un des livres les plus mystiques et philosophiques qui soit, un livre dont chacun des mots est une douloureuse interrogation sur la vie : La faim du tigre. Ce livre sort en 1966, dans lequel René Barjavel, auteur français de science-fiction écoulent toutes ses interrogations sur la vie et la Création. La complexité fait justement partie de ces interrogations qu’il mène, ces interrogations qu’on croirait être adressées aux étoiles tellement l’auteur use de métaphysique à chacune de ses lignes dans lesquelles il se demande comment de telles structures ont pu émerger :

« L'oreille ne s'est pas faite par l'invraisemblable hasard de millions de mutations favorables. L'oreille est un ensemble conçu, architecturé, organisé. Le hasard ne conçoit pas, n'ajuste pas, n'organise pas. Le hasard ne fait que de la bouillie. »

Le résonnement de Barjavel dans ce livre fait vraiment échos au discours créationniste. En partant de son étonnement sur l’incroyable ingénierie de l’oreille, qui n’a pourtant été créé dans aucune usine, Barjavel glisse vers une approche « fantastique » de la vie.

Barjavel était-il pour autant créationniste ? Ce genre de phrase qui constelle sa partie sur la complexité de l’oreille pourrait faire penser que Barjavel appartenait à ce mouvement philosophique. Mais le fait que ces propos se retrouvent à la fois dans le discours des scientifiques qui trouvent des preuves irréfutables dans un livre sacré et à la fois dans les lignes d’un penseur infatigable ne le prouve pas. Car Barjavel n’impose ses idées, il les pose. Il lance ses mots pour l’aider à comprendre la vie, c’est tout. Mais au fond, ces pensées ne sont-elles pas celles que tout esprit se pose à un moment ou à un autre dans sa vie ? En cela, le créationnisme relève plus d’une théorie philosophique que d’une logique pour la biologie comme l’est le darwinisme. Et Barjavel en est bien la preuve : l’auteur ne se place pas sur un piédestal pour arrangeur la foule mais bien seul sur une colline pour interroger le ciel sur le sens de la vie.

Citoyens, soyez vigilant sur les discours pseudo-scientifiques, intuitifs, dogmatiques, irrationnels. Les théories créationnistes, initialement reprises par les fondamentalistes chrétiens et depuis quelques temps musulmans, ne servent finalement qu’à assoir et à conforter des thèses religieuses. Ces personnes se posant la plupart du temps en victime dénoncent les vérités vraies imposées dans les universités françaises. A la manière de Barjavel, le principe même de la science n’est pas de trouver la vérité, mais de la chercher.